Les Chants de Maldoror

Ed. Blanchetière , 1927.
 
Canto I
(fragmento)


     Plegue al cielo que el lector, enardecido y momentáneamente feroz como lo que lee, halle, sin desorientarse, su abrupto y salvaje sendero por entre las desoladas ciénagas de estas páginas sombrías y llenas de veneno; pues, a menos que ponga en su lectura una lógica rigurosa y una tensión de espíritu igual, como mínimo, a su desconfianza, las emanaciones mortales de este libro embeberán su alma como azúcar en agua. No es bueno que todo el mundo lea las páginas que siguen; sólo algunos saborearán sin peligro ese fruto amargo. Por lo tanto, alma tímida, antes de adentrarte más por semejantes landas inexploradas, dirige hacia atrás tus pasos y no hacia delante. Escucha bien lo que te digo: dirige hacia atrás tus pasos y no hacia adelante, como la mirada de un hijo se aparta, respetuosamente, de la contemplación augusta de la faz materna; o, mejor, como el ángulo perdiéndose en el horizonte de las friolentas grullas tan meditabundas que, durante el invierno, vuela poderosamente a través del silencio, con todas las velas tendidas, hacia un punto preciso del horizonte de donde, súbitamente, brota un viento extraño y fuerte, precursor de la tormenta. La grulla más vieja, que forma por sí sola la vanguardia, al verlo, mueve su cabeza como una persona razonable y, en consecuencia, también su pico que hace restallar, y no está contenta (tampoco yo lo estaría en su lugar), mientras su viejo pescuezo, desprovisto de plumas y contemporáneo de tres generaciones de grullas, se agita en irritadas ondulaciones, presagio de la tempestad que se acerca cada vez más. Tras haber mirado, con sangre fría, varias veces a todas partes con ojos que atesoran experiencia, prudentemente, en primer lugar (pues a ella corresponde el privilegio de mostrar las plumas de su cola a las demás grullas de inferior inteligencia), con su grito vigilante de melancólico centinela, para rechazar al enemigo común, vira con flexibilidad el vértice de la figura geométrica (tal vez sea un triángulo, pero no se ve el tercer lado que forman en el espacio esas curiosas aves de paso), bien a babor, bien a estribor, como un hábil capitán; y, maniobrando con alas que no parecen mayores que las de un gorrión, puesto que no es tonta, toma así otro camino filosófico y más seguro.
     Lector, tal vez desees que invoque el odio al comienzo de esta obra. ¿Quién te dice que no vas a respirar, bañado en innumerables voluptuosidades, tanto como lo desees, por tus orgullosas fosas nasales, amplias y delgadas, volviéndote panza arriba al igual que un tiburón, en el aire negro y hermoso, como si comprendieras la importancia de este acto y la no menor importancia de tu legítimo apetito, lenta y majestuosamente, sus rojas emanaciones? Te lo aseguro, alegrarán los dos informes agujeros de tu asqueroso hocico, ¡oh!, monstruo, siempre que antes te apliques en respirar tres mil veces seguidas la maldita conciencia del Eterno. Tus fosas nasales se habrán dilatado desmesuradamente de inefable satisfacción, de éxtasis inmóvil, y no pedirán al espacio, embalsamado como con perfumes e incienso, nada mejor; pues se habrán ahitado de felicidad perfecta, como los ángeles que habitan en la magnificencia y la paz de los agradables cielos.
[...]
 
 
Les Chants de Maldoror
 

     Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce comme ce qu'il lit, trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage, à travers les marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison; car, à moins qu'il n'apporte dans sa lecture une logique rigoureuse et une tension d'esprit égale au moins à sa défiance, les émanations mortelles de ce livre imbiberont son âme, comme l'eau le sucre. Il n'est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre; quelques-uns seuls savoureront ce fruit amer sans danger. Par conséquent, âme timide, avant de pénétrer plus loin dans de pareilles landes inexplorées, dirige tes talons en arrière et non en avant. Écoute bien ce que je te dis: dirige tes talons en arrière et non en avant, comme les yeux d'un fils qui se, détourne respectueusement de la contemplation auguste de la face maternelle; ou, plutôt, comme un angle à perte de vue de grues frileuses méditant beaucoup, qui, pendant l'hiver, vole puissamment à travers le silence, toutes voiles tendues, vers un point déterminé de l'horizon, d'où tout à coup part un vent étrange et fort, précurseur de la tempête. La grue la plus vieille et qui forme à elle seule l'avant-garde, voyant cela, branle la tête comme une personne raisonnable, conséquemment son bec aussi qu'elle fait claquer, et n'est pas contente (moi, non plus, je ne le serais pas à sa place), tandis que son vieux cou, dégarni de plumes et contemporain de trois générations de grues, se remue en ondulations irritées qui présagent l'orage qui s'approche de plus en plus. Après avoir de sang-froid regardé plusieurs fois de tous les côtés avec des yeux qui renferment l'expérience, prudemment, la première (car, c'est elle qui a le privilége de montrer les plumes de sa queue aux autres grues inférieures en intelligence), avec son cri vigilant de mélancolique sentinelle, pour repousser l'ennemi commun, elle vire avec flexibilité la pointe de la figure géométrique (c'est peut-être un triangle, mais on ne voit pas le troisième côté que forment dans l'espace ces curieux oiseaux de passage), soit à bâbord, soit à tribord, comme un habile capitaine; et, manœuvrant avec des ailes qui ne paraissent pas plus grandes que celles d'un moineau, parce qu'elle n'est pas bête, elle prend ainsi un autre chemin philosophique et plus sûr.
     Lecteur, c'est peut-être la haine que tu veux que j'invoque dans le commencement de cet ouvrage! Qui te dit que tu n'en renifleras pas, baigné dans d'innombrables voluptés, tant que tu voudras, avec tes narines orgueilleuses, larges et maigres, en te renversant de ventre, pareil à un requin, dans l'air beau et noir, comme si tu comprenais l'importance de cet acte et l'importance non moindre de ton appétit légitime, lentement et majestueusement, les rouges émanations? Je t'assure, elles réjouiront les deux trous informes de ton museau hideux, ô monstre, si toutefois tu t'appliques auparavant à respirer trois mille fois de suite la conscience maudite de l'Éternel! Tes narines, qui seront démesurément dilatées de contentement ineffable, d'extase immobile, ne demanderont pas quelque chose de meilleur à l'espace, devenu embaumé comme de parfums et d'encens; car, elles seront rassasiées d'un bonheur complet, comme les anges qui habitent dans la magnificence et la paix des agréables cieux.

[...]
Ilustración de René Magritte, Les chants de Maldoror

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